Kallifatides. le sixième passager. extrait.
L'homme et le nasique
Elle était devenue une chirurgienne très appréciée, plus précisément en chirurgie esthétique, un domaine où les progrès allaient très vite.
Restaurer le visage déformé ou le corps brûlé des gens avait été pour elle une grande satisfaction. Sauf qu'avec le temps c'était devenu une véritable industrie. Dans la Californie obsédée par l'apparence, on fabriquait de nouveaux nez, de nouvelles poitrines, de nouveaux cheveux,des pénis plus longs. En bref, sa chirurgie était devenue un produit cosmétique.
Cela la dégoûtait. L'apparence des gens était devenue plus importante que leur humanité. Dans une société où l'on n'avait plus le temps d'apprendre à se connaître, où l'on avait oublié l'art de se rencontrer, on se concentrait sur l'apparence. On était ce qu'on avait l'air d'être. Une équation macabre qui, grâce aux techniques sophistiquées des chirurgiens, ramenait les êtres humains à la condition des mâles et des femelles du monde animal. Ils se procuraient de puissants indicateurs sexuels, de plus grands pénis ou de plus grosses poitrines, qu'ils exhibaient sans aucune gêne comme les nasiques exhibent leur nez.