Boule de suif. Une nouvelle, une BD, un film
Maupassant. Boule de suif.
Boule de Suif est une des nouvelles les plus terribles, les plus pessimistes de Maupassant. 1870, l'armée française est en déroute, elle fuit en ordre dispersé devant les troupes prussiennes. A Rouen, une diligence est autorisée à quitter la ville par le général en chef des troupes d'occupation pour se rendre au Havre. Dans le véhicule qui s'élance péniblement dans la campagne enneigée, Maupassant réunit une petite société qu'il déteste. Les notables y tiennent la place essentielle, ils représentent le pouvoir et l'argent. Ils se déplacent en couple : M et Mme De Bréville nobles royalistes et grands propriétaires, M. et Mme Carré-Lamandon, industriels, et les Loiseau petits bourgeois enrichis par le négoce du vin. Deux religieuses en cornette représentent le pouvoir spirituel, la puissante église catholique. Cette société bien pensante doit malheureusement voyager en compagnie de personnes indésirables: Cornudet le républicain et surtout Boule de Suif connue à Rouen pour vivre de ses charmes.
Le voyage s'éternise et la faim commence à tirailler les estomacs. Seule la prostituée a songé à amener à manger. Les braves gens oublient l'origine sociale de Boule de Suif, consentent enfin à lui parler pour se ruer sur les victuailles qu'elle leur offre généreusement.
Le soir, la diligence atteint enfin le lieu de la halte, une auberge de campagne. Le lendemain matin, un officier prussien interdit le départ du petit groupe. Il met une condition pour que les voyageurs puissent repartir, Boule de Suif doit coucher avec lui. Elle refuse de se donner à l'occupant. La bonne société bourgeoise et nobiliaire, avec l'appui de notre sainte mère l'Eglise se ligue pour faire céder Boule de Suif. Cornudet se tait. Boule de Suif sous la pression se soumet.
La diligence est alors autorisée à repartir, la prostituée monte dans le véhicule sous le regard méprisant et les sarcasmes des nantis.
Maupassant passe au vitriol une société normande qu'il connaît bien. Il s'est inspiré pour créer ses personnages d'hommes et de femmes qui ont réellement existé. Aucun occupant de la voiture n'est épargné par la violente critique de l'auteur. L'apparence est trompeuse nous dit l'auteur, sous l'habit et le rang se cachent des êtres médiocres qui s'évertuent à garder leur fortune, leur place sociale. L'argent, le sabre et le goupillon font une France lâche, peureuse, prête à collaborer avec l'occupant. Ne vaut-il pas mieux l'armée prussienne que la chienlit révolutionnaire pensent les nantis. Plus tard les héritiers de cette France diront : Plutôt Hitler que le Front Populaire. Les seules personnes épargnées par la plume acide et l'humour caustique de Maupassant sont issues des classes populaires : des ouvriers qui tentent de résister à l'occupant, quelques petits paysans croisés au hasard d'un chemin. Boule de Suif fait partie de cette classe modeste, elle est exploitée et méprisée par tous ceux qui se partagent le pouvoir et l'argent. C'est à elle, à sa générosité que va la sympathie de Maupassant.
Dino Battaglia. Maupassant. Contes et récits de guerre. Boule de suif.
Boule de suif est une des huit nouvelles adaptées de Maupassant par Dino Battaglia, décédé en 1983, sous le titre de Contes et récits de guerre. La bande dessinée parue en Italie en 1978 ne se trouvera disponible en France qu'en 2002. Maupassant a écrit et publié ces récits dans les années 1880, il revient sur une période sombre de l'histoire de la France. En 1870, éclate la guerre entre le second empire et la Prusse, les armées françaises sont balayées la France est envahie, le territoire national est amputé de l'Alsace et de la Lorraine. Sur les cendres de l'Empire va naître une fragile république.
Dino Battaglia reste extrêmement fidèle au récit de Maupassant. Il ne fait pas le pari de rendre le style de Maupassant : nerveux, concis, dense, caustique… Il sait que l'adaptation à la lettre est impossible et aboutirait à un appauvrissement. Mais il cherche à illustrer sa conception de la nouvelle de Maupassant en créant son propre univers, fait de nostalgie, de tristesse, d'humour noir. Maupassant montre en action les personnages, Dino Battaglia peint des instants. Ses dessins extrêmement fins, tout en nuances, subtils, figent des scènes pleines d'une mélancolie tragique.
La colorisation par Laura Battaglia tout en teintes discrètes, en retenue, met en valeur l'image et les textes en leur donnant plus de force. Ces dessins où le portrait de Boule de Suif en gros plan, vue de profil, en train de pleurer avec dignité, apparaît de manière récurrente, sont d'une grande finesse. L'adaptation conserve l'esprit tragique de la nouvelle de Maupassant.
(sur les huit nouvelles du recueil seules deux sont en couleur, les autres sont en noir et blanc).
Voir la critique sur l'ouvrage dans sa totalité dans le blog bar à bd de Mo.
http://chezmo.wordpress.com/2011/02/23/maupassant-contes-et-nouvelles-de-guerre-battaglia/
John Ford. La chevauchée fantastique.Stage coach. 1939.
John Ford a toujours déclaré ignoré le texte de Maupassant lorsqu'il a tourné la chevauchée fantastique en 1939. Le scénario est signé d'un des plus grands scénariste du cinéma américain Dudley Nichols, il est adapté d'un roman de Ernst Haycox, qui, lui, devait connaître sans aucun doute l'oeuvre de Maupassant.
L'histoire de Boule de suif est transposée dans l'ouest américain, au nouveau Mexique. La campagne normande enneigée, sans âme qui vive, est remplacée par les sables du désert, au froid succède la chaleur caniculaire, dans les deux cas la nature est belle mais hostile. Les envahisseurs prussiens sont remplacés par des apaches sur le pied de guerre. Et dans la diligence, Ford ne réunit pas la société normande mais il nous dresse un tableau de la société américaine des années 1880. La prostituée ne se nomme pas Boule de Suif mais Dallas. Autour d'elle se trouvent des représentants issus de la bonne société : un banquier, une épouse d'officier et un ancien cadre de l'armée sudiste devenu joueur Professionnel. D'autres sont en apparence moins respectables, comme le brave docteur alcoolique qui surveille de très près un timide représentant en whisky. Le shérif a lui un oeil sur Ringo, son prisonnier, jeune et beau hors la loi.
Les menaces qui pèsent sur le groupe révèle la réelle personnalité de chacun. Et souvent les plus forts, les plus courageux et les plus altruistes sont issus des classes les plus modestes. Un magnifique western où éclate le talent de Ford. Un chef d'oeuvre d'humanité, servi par une remarquable distribution avec en tête d'affiche Claire Trevor et le "Duke" John Wayne.
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