Altibarra-Kim. L'art de voler.
Mon père s'est suicidé le 4 mai 2001…l'heure de s'envoler… C'est sur ces paroles que s'ouvre ce splendide superbe roman graphique. Rapidement la narration passe à la première personne, de l'imparfait au présent… Le vieil homme nous présente sa vie qui s'étire sur 90 ans, de son enfance à son suicide. Une vie reconstituée par son fils, l'écrivain et professeur d'université Antonio Altarriba, à partir de conversations, de notes éparses… L' auteur est devenu le temps de l'écriture un autre lui-même: son père.
L'histoire du petit paysan de l'Aragon va traverser un siècle de l'Histoire de l'Espagne, marquée avant tout par la terrible guerre civile. Sa vie va être un tissu d'espoirs déçus de grandes désillusions et de frustrations. Antonio, l'anarchiste, rêvait de liberté, d'un avenir radieux sous le ciel de la République. Mais devant les troupes de Franco, il franchit la frontière française, est enfermé dans des camps de fortune, avant de pouvoir trouver un bref moment de bonheur dans une famille creusoise. Dénoncé, il fuit la police de Vichy et rentre dans la résistance. Mais à la libération, il n'y pas de travail pour les espagnols, il vit en faisant du marché noir mais il ne peut se résoudre, lui l'anarchiste, à exploiter la misère du peuple. Il décide de rentrer en Espagne en taisant son passé. Ses anciens compagnons ont changé, sont devenus franquistes par obligation, par conviction, par intérêt. Pour travailler, il entre dans l'entreprise douteuse d'un parent proche. Il participe lui-même à des opérations financières illégales. L'athée qu'il est se marie par devoir social avec une catholique pratiquante et pudibonde, de cette union nait un fils : l'auteur. La fin de sa vie est hantée par le cauchemars, rongée par la dépression. Dans un foyer du troisième âge, il assiste à la déchéance des pensionnaires qui l'entourent, à la mort des seuls amis qu'il s'était fait. Le 4 mai 2001, Antonio met fin à ses souffrances.
Dans la post-face de l'édition française, Antonio Altarriba, professeur et écrivain, explique les raisons pour lesquelles il a choisi d'écrire un scénario de BD plutôt que d'écrire un roman : le recours à l'image procure une grande capacité de représentation, au sens étymologique de "rendre présent". Les cases offrent la possibilité de reconstituer avec fidélité des scènes, des costumes des objets, des situations…Mais le choix fut surtout guidé par la décision d'écrire à la première personne: J'eus l'idée alors du transfert, ou plutôt de la transsubstantiation, qui me transformait en mon père.
Le dessinateur, Kim, reconstitue parfaitement les lieux, l'atmosphère des époques traversées et donne corps et vie aux personnages que le temps marque de son empreinte. Il traduit les rêves et les cauchemars qui hantent les nuits d'Antonio.
Magnifique hommage d'un fils à son père. Un très grand roman graphique.